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L’Incursion au Zipangu

L’effectivité des politiques publiques dans la maîtrise des migrations irrégulières est parfois remise en cause par la recherche. A l’inverse, des exemples historiques éphémères et méconnus peuvent illustrer une surprenante efficacité. C’est le cas du Japon du début de l’ère Heisei (1989-), confronté à une récession économique et à l’apparition soudaine des jeunes Iraniens sans titre dans ses parcs municipaux.

Foule d’hommes iraniens dans le parc de Yoyogi, Tokyo

En 1974, le Japon et l’Iran signent ensemble un accord d’exemption de visa de tourisme, permettant aux citoyens des deux pays de se rendre visite sans formalité. A cette époque, la plupart des pays d’Europe ont déjà fait de même.

Cependant, la Révolution iranienne (1979) isole la République islamique, qui est ensuite envahie par l’armée irakienne en 1980. La plupart des pays du monde, notamment en Europe, restaurent un régime de visas pour les ressortissants iraniens. Mais le Japon n’en fait rien. A cette époque tardive, le Pakistan, le Bangladesh ou l’Iran sont encore dispensés de visa pour se rendre sur l’archipel.

A la fin de la terrible guerre, en 1988, de nombreux jeunes hommes iraniens de retour du front ne trouvent pas de travail. Comme ils ont obtenu un passeport à la suite de leur service militaire, beaucoup se tournent vers le Japon qui demeure ouvert, et se maintiennent en situation irrégulière sur l’île. Au plus fort du mouvement, 500 Iraniens arrivent au Japon chaque semaine par le vol unique de Iran Air, qui se trouvent de ce fait complètement réservés pour plusieurs années

Ne parlant pas la langue, ils s’y retrouvent assez déboussolés, et prennent l’habitude de se réunir dans les parcs publics des centres de Tokyo, notamment celui de Yoyogi et de Ueno. Ils y passent parfois la nuit et bientôt, chaque dimanche, ces parcs se remplissent de travailleurs iraniens occupés le restant de la semaine dans les métiers de la construction.

La situation devient rapidement visible au Japon, ces migrants se différenciant nettement de l’immigration chinoise et coréenne, ou de l’immigration de l’Est-asiatique, essentiellement féminine. Certains vivent de petits trafics ou commettent des délits. Les autorités décident de faire patrouiller des officiers de l’immigration dans les parcs afin de dissuader la présence des étrangers sans titre.

Successivement, le Japon revient donc sur l’exemption de visa de l’Iran (1992), du Pakistan (1991) et du Bangladesh (1990). La Diète nationale adopte le 8 décembre 1989 une loi élargissant le nombre de métiers qualifiés éligibles aux visas salariés, et instaurant dans le même temps une importante amende aux employeurs d’étrangers sans titre.

De manière remarquable, la loi n’a donné lieu à aucune manœuvre d’expulsion de grande ampleur. Quelques centaines d’employeurs seulement ont reçu des sanctions. Avant même que la loi entre en vigueur, au 1er juin, plus de 30 000 Bangladais et Pakistanais présent irrégulièrement avaient quitté le pays, vraisemblablement pour éviter d’être arrêtés.

Surtout, la loi rend impossible le regroupement familial. Le Japon connaissant une récession économique soudaine en 1991, la situation des travailleurs étrangers se dégradent drastiquement. Sans perspective de régularisation, la plupart entament leur retour vers l’Iran. Une petite dizaine de familles parvient à obtenir un statut régulier grâce à des procédures juridiques.

En quelques années, 90-95% des Bangladais et Iraniens sans titre ont quitté le Japon à la suite d’un changement de politique de la part de ce pays, apportant une brique de plus à la thèse du « State’s Choice« .


Bibliographie :

Toyoko Morita, “JAPAN iv. Iranians in Japan,” Encyclopædia Iranica, XIV, Fasc. 5&6, pp. 558-561, available online at http://www.iranicaonline.org/articles/japan-iv-iranians-in-japan-1 

Higuchi, Naoto. (2007). Remittances, Investments and Social Mobility Among Bangladeshi and Iranian Returnees from Japan.

Morita, K., & Sassen, S. (1994). The New Illegal Immigration in Japan, 1980–1992. International Migration Review, 28(1), 153-163. https://doi.org/10.1177/019791839402800108

Morita, Toyoko (2003), « Iranian immigrant workers in Japan and their networks », in Goodman, Roger (ed.), Global Japan: The Experience of Japan’s New Immigrant and Overseas Communities, Routledge, pp. 159–164,

Asgari, Behrooz, Orie Yokoyama, Akiko Morozumi, and Tom Hope (2010). “Global Economy and Labor Force Migration: The Case of Iranian Workers in Japan.” Ritsumeikan Journal of Asia Pacific Studies 27: 31–52.

Photo tirée du Sankei Shinbun