Une récente recherche explore l’impact de la diplomatie résidente sur les décisions d’octroi de visas, en prenant l’inspiration d’une anecdote précise : la centralisation de l’instruction des visas par le Royaume-Uni provoque en 2009 une forte hausse du taux de refus des demandes déposées au Pakistan. Cette situation cause des tensions lors d’un sommet à Islamabad, le gouvernement pakistanais s’inquiétant des difficultés de circulation accrues pour ses ressortissants.

David Lindsey, Professeur associé au Baruch College à New York, analyse combien cette centralisation, initiée en 2007 par le transfert des décisions de visas depuis des postes diplomatiques locaux vers des centres au Royaume-Uni ou dans d’autres pays, a affecté l’émission de visas. Les officiers d’instruction, affectés dans des « Centres de décision » (DMC) basés soit au Royaume-Uni soit dans des pôles régionaux, appliquent la réglementation des visas et délivrent ou refusent les vignettes en fonction de la crédibilité générale des dossiers de demande. A la différence de la France, le Royaume-Uni n’ayant jamais participé à l’acquis de Schengen, les visas de court séjours demeurent insusceptibles de recours administratif ou juridictionnel.
Cette organisation nouvelle a permis la fermeture de plus de 150 sections de visa à travers le monde et, partant, de significatives économies administratives. La réforme ayant été mise en œuvre par paliers successifs, elle produit des conditions d’observation statistiques quasi expérimentales que l’auteur a pu compiler grâce aux données trimestrielles du Home Office sur les visas, d’une part, et les rapports de l’Inspection générale sur le réseau des visas.
Une imputation causale rigoureuse suppose qu’aucun facteur de confusion n’intervienne sur la variable dépendante. Or la délivrance des visas constitue une politique vivante, en évolution permanente, et souvent de façon spécifique à chaque pays de demande. Pour neutraliser ces effets, le chercheur propose de recourir à la méthode des doubles différences échelonnées.
L’étude conclut que les décisions locales augmentent significativement les chances de délivrance d’un visa, tandis que la centralisation dans des hubs éloignés réduit de 15% l’émission de visas, toutes choses étant égales par ailleurs, notamment en raison d’une application administrative plus stricte. Ce résultat valide l’idée que la diplomatie locale favorise une relation plus coopérative. Par ailleurs, les hubs implantés au Royaume-Uni présentent une rigueur accrue par rapport aux hubs dans des pays tiers, mais l’effet n’est pas statistiquement significatif.
Au titre de test de robustesse, l’auteur souligne que les prolongations de visas, qui demeurent toujours traitées localement, ne montrent pas de variations similaires à celles de la délivrance, en cas de fermeture des centres de décision, confirmant que les changements observés dans la délivrance sont bien liés à la centralisation des décisions de visas.
Au terme de cette étude stimulante, l’auteur apporte donc une démonstration convaincante que les diplomates résidents jouent un rôle crucial dans la facilitation de l’octroi de visas, car leur proximité avec le pays hôte les pousse à interpréter les règles de manière plus généreuse, contrairement aux centres de décision centralisés qui appliquent les critères de manière plus rigide. Toutefois, l’étude ne permet pas de déterminer précisément le canal expliquant cette variation. Plusieurs références suggèrent que la psychologie générale du diplomate le pousserait vers la négociation et le compromis, ou qu’il existerait un effet de sélection par les pays hôte des diplomates d’affectation. Surtout, les diplomates résidents auront tendance à inscrire la politique des visas dans le cadre plus général de la relation bilatérale – ce à quoi servent, après tout, les ambassades.
Avec une certaine audace, l’auteur rejette en revanche l’hypothèse que la plus grande tolérance des diplomates résidents serait imputable à l’expertise locale acquise spécifiquement par le poste. Il apporte plusieurs arguments qualitatifs à cet égard : le fait que l’Inspection générale elle-même ait rejeté ce point, que les ambassades continuent à fournir des éléments d’expertise même après la fermeture de leur section d’instruction, et enfin que dans l’exemple initial du Pakistan, les diplomates aient fait montre d’un mécanisme de préférence.
Cette recherche utile et efficace se fonde sur les statistiques en matière de visa publiées largement par l’administration britannique. Elle s’inscrit dans un mouvement des sciences politiques revisitant le rôle des diplomates au regard notamment des nouvelles technologies.
Source :
Lindsey D (2024), Who decides who gets in? Diplomats, bureaucrats, and visa issuance. Political Science Research and Methods 1–15. (https://doi.org/10.1017/psrm.2024.44 )