Le Visa bien tempéré (II)

ADAPTATION ET OUVERTURE

Les années 1970 à 1980 constituent, au sein de nombreux pays développés dans le monde, une période charnière dans la définition des politiques migratoires et de circulation contemporaines. Dans un article précédent, j’ai décrit comment les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui imposaient initialement un visa presque universel, n’ont réduit leurs exigences qu’au gré des progrès technologiques et économiques de leurs partenaires. Le Canada et l’Union européenne offrent des trajectoires bien différentes.

Au Canada, une attitude de protection croissante

En ce qui concerne le Canada, l’instauration de la politique des visas a fait l’objet de développements très consistants par un universitaire spécialisé, Gerald E. Dirks. Le pays avait anciennement fait preuve de davantage de souplesse que les Etats-Unis et était devenu, pour une courte période, une porte d’entrée préalable à des mouvements secondaires vers le Sud. De ce fait, au début de la seconde moitié du XXe siècle, le Canada propose des modalités de circulation très différente des Etats-Unis.

C’est en 1976 qu’une note adressée au cabinet relève le fait que même si le Canada avait traditionnellement évité d’introduire un large programme de visa de court séjour, les conditions globales étaient en train de changer. L’augmentation des actes de terrorisme dans le monde, combinée avec la tenue des Jeux Olympiques de 1976 à Montréal, ont encouragé le virage en faveur d’une régulation croissante. Avec les années 1980, une augmentation marquée des étrangers en situation irrégulière et des demandes d’asile dilatoires (« frivolous »), déposées par des personnes s’étant maintenues à l’expiration de leur droit de séjour, ont participé à cette dynamique.

Dans un premier temps, le ministère des Affaires étrangères parvient à s’y opposer, pour des raisons budgétaires, notamment concernant le poste à New Delhi. Le Portugal échappe aussi de peu à l’instauration d’un visa en tant que membre de l’OTAN. Enfin, le Guyana est épargné, car le Canada ne dispose pas d’ambassade à Georgetown, et l’ouverture d’un bureau consulaire pourrait entraîner un flux de demandes des ressortissants du Tiers-Monde. Mais il est ensuite calculé que le coût de traitement d’une demande de visa est bien inférieur à celui d’un refus d’entrée à un poste frontière, ou encore d’une procédure d’éloignement.

Dans ce contexte, le Canada impose de façon croissante et continue une exigence de visa, qui lui fait dépasser (formellement) l’espace Schengen au moment même où celui-ci uniformise son régime (en 1999-2000).

Schengen, une trajectoire globalement libérale

La trajectoire suivie par les pays d’Europe occidentale est en apparence similaire à celle du Canada. Plusieurs facteurs conduisent les pays à durcir les conditions de circulation initialement libérales au moment des décolonisations : l’accroissement du trafic aérien et des mobilités, la croissance démographique des pays à faibles revenus, le développement d’ordres juridiques libéraux reconnaissant des droits nouveaux aux étrangers et empêchant leur éloignement.

En France, ce raidissement est illustré par l’annonce gouvernementale en 1973 d’une « suspension de l’immigration », très commentée, puis par la dénonciation en 1986 d’une quarantaine d’accords d’exemption de visa dans des conditions moins étudiées. Dans des proportions plus nuancées, les autres Etats d’Europe occidentale suivent la même trajectoire.

La tension entre le mouvement de restriction poussé par les services policiers pour des motifs migratoires, et la résistance opposée par les services extérieurs pour des raisons en partie économiques, et en partie liée au confort administratif, est résolue dans la plupart des pays européens par la violence politique exercée au cours des années 1980. Cette dernière fait basculer l’équilibre des parties prenantes en faveur d’une restriction, néanmoins temporaire.

En effet, à compter de l’unification du régime d’exemption des visas de court séjour en 1999-2000, l’Union européenne conduit une politique de libéralisation continue, qui aboutit à créer, au sein des pays développés, le régime le plus ouvert de la planète. Cette politique particulièrement nette produit une tendance « en cloche », qui la différencie fondamentalement de celle en vigueur au Canada.

Dans un prochain article, je développerai les événements ayant conduit au virage européen des années 1980.

[à suivre…]

Bibliographie :

Dirks, Gerald E.. Controversy and Complexity: Canadian Immigration Policy During the 1980s. Royaume-Uni, McGill-Queen’s University Press, 1995, p. 49-50