Contrairement à une idée répandue, peut-être en raison des souvenirs partiels de Stephan Zweig, les passeports n’ont pas été inventés au cours de la Première Guerre mondiale. Leur origine est antérieure et se retrouve sans trop de doute dans la pratique du Sauf-Conduit (ou Guidactum). Délivré par les princes, parfois dès le XIIIe siècle, il accordait droits et protections à son porteur tout en précisant l’objet de sa mission. Il comportait parfois même une menace de représailles si le passage n’était pas garanti [Salter, p. 13].
Les lettres de marque délivrées aux corsaires en vue d’autoriser l’usage de la violence dans les eaux internationales sont parfois aussi assimilées à des passeports [Salter, p.17]. Tous ces outils ont contribué à relier les individus à une souveraineté et à leurs accorder droits ou protection. Au cours du XVIIIe siècle, le passeport se généralise dans le cadre de la « révolution identificatoire« , et rend possible la surveillance les déplacements, notamment intérieurs, des populations.
La Révolution française constitue ensuite une période charnière pour les politiques d’identification des personnes et de régulation de la circulation. Il s’agit en effet d’une période de grande suspicion à l’égard des étrangers, catégorie nouvelle qu’ignorait l’Ancien régime, du moins sous cette acception (comme le langage commun jusqu’à aujourd’hui). Le passeport est alors étendu afin de contrôler les mouvements internes et extérieurs.

Il semble que c’est la fuite de Varennes qui provoque cette généralisation du passeport. Au cours de la nuit du 21 juin 1791, le roi de France Louis XVI, la reine Marie-Antoinette et leur famille immédiate tentent de rejoindre le bastion royaliste de Montmédy, à partir duquel le roi espérait lancer une contre-révolution. Or, le roi, déguisé, était mentionné comme valet dans le passeport utilisé pour sa fuite. Le ministre des Affaires étrangères, Armand Marc de Montmorin, qui a signé le passeport, est convoqué à l’Assemblée nationale où il est innocenté à la suite de débats et d’enquête. L’information est rendue publique à « son de trompe » pour lui éviter d’être lynché par la foule assemblée devant sa demeure*.
Les sorties du territoire sont dès lors soumises à la détention d’un passeport, et pour éviter des fraudes à l’identité comme celle commise par le roi, il y est ajouté un signalement du détenteur. La tendance à l’identification, rendue possible par les évolutions techniques, se poursuit.
Par la suite, un décret du 11 juillet 1795 oblige les étrangers à se présenter à la municipalité la plus proche de la frontière, à leur arrivée en France, pour déposer leur passeport, alors envoyé au Comité de sûreté générale pour y être visé. Il s’agit alors moins de prévenir des mouvements d’installation d’immigrés que l’intrusion d’agents étrangers présumés. Enfin, la loi du 19 octobre 1797 exige la mention de la destination des voyageurs – Français comme étrangers – sur leur passeport, et prévoit que le ministre de la Police devra valider celui-ci.
L’étranger doit donc voyager muni d’un document qui garantit officiellement son identité, qui est échangé à la frontière contre un sauf-conduit provisoire délivré par le maire, le préfet ou la police, mentionnant sa destination. En parallèle, le passeport d’origine est envoyé au ministère de la Police générale pour y être vérifié et recoupé avec les dossiers et registres présents au ministère. Il n’est restitué qu’à sa sortie du territoire. Parallèlement, les hôtels doivent tenir un registre à présenter au commissaire de police au plus tard vingt-quatre heures après l’arrivée d’un étranger, et ont l’obligation de dénoncer l’étranger s’il découche [Le Quang, p. 263-265].
Ce régime préfigure celui des visas qui sera instauré et généralisé, pour sa part il est vrai, avec la Première Guerre mondiale.
* Il n’est massacré qu’en septembre de l’année suivante.
Bibliographie
John Torpey, L’invention du passeport: Etats citoyenneté et surveillance, Belin, 2005
Mark B. Salter, Rights of Passage, The Passport in International Relations, Lynne Rienner Publishers, London, 2003
Vincent Denis, Une histoire de l’identité. France, 1715-1815, Seyssel, Champ Vallon et Société des études robespierristes, 2008
Jeanne-Laure Le Quang. Haute police, surveillance politique et contrôle social sous le Consulat et le Premier Empire (1799-1814). Histoire. Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, 2018. Français.

