Haïti face au Mantra du développement

Le Fonds monétaire international définit les envois de fonds (remittances) comme les revenus de ménages qui proviennent d’économies étrangères et dont l’origine est principalement liée au déplacement de personnes vers ces économies. Ces remises occupent un rôle central dans l’anthropologie des migrations et leurs bienfaits supposés font l’objet d’une attention particulière au sein des organes des Nations-Unies, qui ont inauguré une Journée mondiale des envois de fonds à la famille.

Depuis le début des années 2000 pourtant, les montants des transferts de fond à destination des pays non développés ont été multipliés plusieurs fois sans que la situation des pays concernés n’ait radicalement changé. Le Zimbabwe, par exemple, reçoit des transferts par habitant cent fois supérieurs à la République du Congo, mais n’apparaît pas ostensiblement plus prospère. Dans une note qui a fait date, intitulée « Le nouveau mantra du développement », Devesh Kapur écrivait, dès 2004 :

[…] Comme dans le cas de l’euphorie des flux de capitaux privés au milieu des années 1990, l’attrait des transferts de fonds est en partie une réaction aux mantras du développement qui ont échoué par le passé. La pensée du développement a été aussi sujette aux modes que les flux de capitaux privés sont supposés l’être. Les transferts de fonds font vibrer les cordes sensibles. Ils s’inscrivent dans une approche communautaire, « troisième voie », et illustrent le principe de l’auto-assistance. […] Ces espoirs sont-ils fondés ?

Devesh Kapur, Remittances: the new development mantra ?

Malgré l’absence d’une success story qui servirait de modèle au développement par la migration, les organisations internationales tiennent un discours souvent peu nuancé sur les transferts de fond comme facteur de développement, sans trop insister sur le « revers de la médaille ».

Ainsi, depuis quelques années à Haïti, l’UNICEF rapporte une augmentation importante des enlèvements d’otages faisant l’objet de demandes de rançon. Les sommes réclamées par les bandits peuvent atteindre des centaines de milliers, voire un million de dollars américains. Les négociations sont ensuite entamées avec les proches de la victime.

De fait, les sommes demandées ne peuvent être payées que grâce à des transferts d’argent en provenance de la diaspora, et ce sont les personnes identifiées comme ayant des liens avec des Haïtiens de l’étranger qui sont particulièrement visées. Dans le cas d’Haïti, les remises migratoires participent ainsi directement à la constitution d’une économie du racket, au point que certaines associations demandent l’interdiction des transferts. Ironie de la situation, la taxe sur les transferts de 1,5$ instaurée par le gouvernement Haïtien pour « construire et entretenir des écoles » a fait l’objet de détournements massifs.

Cette situation fait écho aux résultats d’une étude menée sur vingt pays d’Amérique latine qui montre à l’échelle individuelle que les ménages percevant des revenus de la diaspora ont davantage de chances (+15 points) de faire l’objet de demandes de pot-de-vins que les ménages dépourvus de telles ressources. Ces résultats sont vérifiés pour l’ensemble des pays étudiés hormis le Chili et la Bolivie. Le fait de vivre en ville accroit le risque, quand être une femme constitue un facteur protecteur.

Le canal d’explication avancé suggère que les remises migratoires induisent une plus forte sollicitation des services publics et une consommation de biens accrue (effet signal), qui exposent davantage les bénéficiaires : inscription à l’université, admission à l’hôpital, acquisition d’une voiture, construction d’une maison.

A partir des mêmes données (Americasbarometer), d’autres chercheurs montrent que les bénéficiaires de transferts développent d’ailleurs une plus grande aversion au crime et une tolérance accrue pour les politiques répressives et le vigilantisme.

La situation en Haïti illustre, par l’exemple, les ambiguïtés des effets des remittances.

Bibliographie :

Pui-Hang Wong, Ortrun Merkle & Melissa Siegel (2024) Remittance Receivers as Targets for Corruption in Latin America, The Journal of Development Studies, 60:2, 324-343, DOI: 10.1080/00220388.2023.2265526 

López García AI, Maydom B. Migrant Remittances and Violent Responses to Crime in Latin America and the Caribbean. Latin American Politics and Society. 2021;63(2):26-50. doi:10.1017/lap.2021.4