L’Enigmatique concurrence des visas (II)

J’ai mentionné précédemment le phénomène de visa shopping, rarement contesté, et l’absence d’étude quantitative visant à en mesurer l’effet réel. J’ai montré à cette occasion que l’exemple lituanien souvent cité n’était pas corroboré – et même hautement contredit – par les statistiques officielles.

Je propose cette fois-ci une piste d’explication au caractère essentiellement théorique du phénomène. En premier lieu, comme nous l’avons vu, les demandeurs de visa n’ont bien souvent pas beaucoup de choix, puisque selon les villes, le nombre de consulats européens en mesure d’accueillir une quantité importante de demandes peut être très restreint.

Surtout, si les taux de refus nominalement affichés par les Etats membres Schengen, et repris par des officines spécialisés, sont très variables (de 3% pour l’Islande à 29% pour la Suède), il s’avère qu’il s’agit essentiellement d’un effet de composition. En effet, les taux de refus de visa Schengen varient considérablement selon le pays d’implantation du consulat (cf. carte).

L’étendue porte de 1% (Biélorussie) à un maximum de 48% remporté par les Comores, la Guinée, et l’Algérie. L’écart type est de 12 points. Dès lors, l’origine des demandes de visa influence significativement le taux moyen de refus d’un Etat Schengen.

En revanche, une coopération locale au titre de Schengen est réalisée par les représentations diplomatiques et consulaires des États membres dans chaque ressort territorial afin de garantir « l’application harmonisée de la politique commune des visas et à une appréciation correcte des risques migratoires ou pour la sécurité » (art. 48 du code communautaire des visas).

De ce fait, les taux de refus opérés par les Etats-membres s’avèrent peu dispersés, autour d’une moyenne de 18%, avec un écart-type de 5 points. Si on neutralise (dans la limite des données disponibles) l’effet de composition de la demande d’asile dans le calcul des taux de refus seules Malte, la Suède et la Slovénie se distinguent par la dureté de leur instruction, d’une part, et le Luxembourg et l’Islande par leur indulgence, d’autre part.

Dans un tel contexte, l’intérêt du visa shopping apparaît nettement moindre, d’autant plus que cette théorie suppose une capacité du candidat à présenter un dossier crédible aussi bien pour se rendre en France qu’en Italie ou en Lettonie. Or, le visa de court séjour a pour objet une visite familiale, professionnelle, touristique ou médicale et implique la constitution d’un dossier exigeant qu’il est difficile de produire pour un candidat dépourvu des attaches locales nécessaires.


Méthode

L’estimation est réalisée à partir des taux de refus pondérés par le nombre total de demandes de visas sur les périodes considérées, pour chaque dyade Etat de délivrance / pays d’implantation du consulat.

Le pays dans lequel se trouve le consulat ne correspond pas nécessairement à la nationalité du demandeur, ce qui introduit des erreurs d’estimation pour une approche par nationalité. Le parti a été pris de considérer que, pour l’essentiel, les demandes réalisées dans un pays donné le sont par les ressortissants dudit pays, mais c’est une limite des données publiées par la Commission européenne.

La période couverte court de cette 2017 à 2022, afin de conserver un périmètre unique de pays tiers soumis à l’exigence de visas.

Les taux de refus sont calculés pour chaque série comme le nombre de refus de visas uniformes sur le total de demandes de visas uniformes. Les pays d’implantation ont été limités à ceux dont le total du nombre de demandes pour toutes destinations était supérieur à 5 000 sur l’ensemble de la période, soit 85 pays.

Afin d’éviter les situations dans lesquelles le taux de reconnaissance serait calculé à partir d’un nombre trop faible d’observations, les dyades origine – destination de moins de 100 demandes ont été écartées, ainsi que toutes les observations représentant moins de 5 demandes. Il reste un total 5 591 observations pour 786 dyades (25 Etats Schengen et 85 pays d’implantation).

Il s’agit à ma connaissance de la première estimation réalisée. Elle peut être contredite par des travaux plus experts en mathématiques.