Au mois de mai 2023, l’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt a rédigé une note proposant, entre autres, la sortie de la France de l’accord de 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles en France.
Celui-ci comporte des stipulations sur le séjour de longue durée supposées être plus favorables que le droit commun envers les Algériens et par là-même, exclure ces derniers de l’application du code sur l’entrée, le séjour des étrangers et le droit d’asile (CESEDA). En raison de l’importance des relations migratoires avec ce pays, l’impact quantitatif de cet accord est donc significatif en matière de migration légale.
Cette idée de dénonciation se heurte à plusieurs difficultés, relevées par différents observateurs. En premier lieu, la faisabilité juridique d’une tel retrait est contestée. En second enfin, c’est le caractère ambivalent d’une telle dénonciation sur le régime de circulation des Algériens qui est souligné.
Sans prétendre trancher ce débat, ce billet entend apporter plusieurs éléments nouveaux et un précédent historique à ce type de situation.
Sur la capacité juridique d’un tel retrait, Serge Slama, professeur des universités en droit public intervenant régulièrement sur les questions migratoires, a procédé à une analyse qui conclut à l’impossibilité. Comme il le relève : l’accord conclu le 27 décembre 1968 entre les gouvernements français et algérien ne comporte aucune clause expresse de dénonciation.
Dans ce cas de figure, l’article 56 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités prévoit qu’un traité ne peut faire l’objet de dénonciation unilatérale à moins, soit qu’il ne soit établi qu’il entrait dans l’intention des parties d’admettre la possibilité d’une telle dénonciation, soit que le droit de dénonciation puisse se déduire de la nature du traité. Or, d’après Serge Slama, citant le socio-historien Sylvain Laurens, « rien dans la lettre de l’accord de 1968, ni dans les circonstances de son adoption, ne permet de penser que l’intention des gouvernements était de permettre la dénonciation unilatérale de celui-ci ».
Cette circonstance est intéressante, mais le professeur oublie de rappeler que la Convention de Vienne sur le droit des traités n’est pas applicable à la France. En effet, celle-ci ne l’a jamais signée ni ratifiée. Dès lors, il est assez bancal de s’y référer. Plus généralement, il convient aussi d’observer un certain recul vis à vis de la rigidité du droit international. En toutes hypothèses, doit-on considérer qu’un traité dépourvu de clause de dénonciation formerait par suite une sorte de prison contractuelle depuis laquelle, en raison d’un rédacteur étourdi, il ne serait plus possible de sortir ?
Le problème n’est pas nouveau. En 1961 déjà, dans son traité de droit, Emile Giraud notait qu’il « ne semble pas que les dénonciations non prévues par les conventions dont elles faisaient l’objet aient donné lieu à beaucoup de difficultés ». Cela est toujours exact. En 2022, un maître de conférence en droit public, Florian Couveinhes-Matsumoto, notait dans le cadre d’une étude assez extensive, qu’il existe en réalité une tolérance générale de la communauté internationale vis à vis du principe de la dénonciation unilatérale. Pour le citer exhaustivement :
« Historiquement, les deux seuls types de traités dépourvus de durée ou de clause de dénonciation, à propos desquels des États ont tendu à refuser à un autre l’opposabilité d’une dénonciation de sa part, sont, d’un côté les traités inégaux imposés par les États occidentaux à la suite d’un recours à la force ou d’une forte pression dans un cadre colonial ou néocolonial (traités qui ne comportaient jamais ou pratiquement jamais une clause de dénonciation unilatérale au profit de l’État faible, et comportaient au contraire souvent une « clause d’éternité »), et d’un autre côté les traités de paix, de territoire et de frontières. Or, au moins depuis 1969, le rejet de la dénonciation du premier type de traité ne constitue plus une pratique pertinente, et le second constitue une exception qui fait d’autant mieux ressortir le principe général de tolérance. »
Il n’y a d’ailleurs eu depuis aucun exemple de réaction étatique indignée à une dénonciation portant sur un acte qui ne soit pas un traité de paix ou de territoire. Au sujet du traité sur l’Union européenne, la Cour de Karlsruhe a déclaré en 1993 que l’Allemagne, en tant que « maîtresse des traités », pouvait quitter l’Union européenne par un acte contraire, sans réaction politique. Le cas le plus récent d’une telle dénonciation est celui, par les Etats-Unis, des Convention de vienne sur les relations diplomatiques et consulaires.
La dénonciation d’un accord comme celui de 1968 doit donc être analysée comme un acte politique, et serait interprétée comme tel par la communauté internationale.
Les conséquences d’un tel retrait sont aussi discutées. Notamment, il a pu être soulevé que l’accord de 1968 revient sur les accords de paix d’Évian de 1962 qui prévoyaient pour leur part que « tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre l’Algérie et la France ». En conséquence, la dénonciation aurait pour effet de rétablir le régime de circulation antérieure, plus favorable aux ressortissants algériens puisque proclamant une liberté de circulation sans visa.
Sur ce point, Xavier Driencourt estime que l’entrée sur le territoire français est régie par l’acquis de Schengeni qui impose une gestion collective des conditions de franchissement de la frontière extérieure à l’espace Schengen. Ainsi, la dénonciation de l’accord ferait basculer les ressortissants algériens dans le droit commun des accords de Schengen.
L’Equateur constitue un précédent original à cet égard. En effet, ce pays a la particularité d’avoir signé à deux reprises un accord d’exemption de visa de court séjour avec la France, et figure pourtant parmi les rares pays d’Amérique latine à ne pas en bénéficier aujourd’hui. Ainsi, l’accord d’exemption de 1965 est-il dénoncé en 1986, en même temps que des dizaines d’autres, par un simple avis paru au Journal officiel.
Puis, un nouvel accord est négocié et accepté par échange de lettres en 1999, contre l’acceptation par l’Equateur de la signature d’un accord de réadmission. Mais il est très rapidement caduc en raison de l’instauration du visa uniforme de court séjour au sein de l’espace Schengen. L’acquis de Schengen a donc procédé à une forme d’abrogation implicite de l’accord bilatéral, ce qui ne constitue pas un grand succès de la diplomatie pour Quito…


La dénonciation de l’accord franco-algérien aurait-elle la même portée ? Vraisemblablement, car il est peu probable que les Etats associés à la France acceptent une telle brèche dans le régime de circulation européen, surtout au regard d’une nationalité considérée comme à fort risque migratoire.
i Code communautaire des visas et Code frontières Schengen