Alors que le Sénat a voté le 7 novembre 2023, la suppression de l’Aide médicale d’État, l’Assemblée nationale se penche à son tour au mois de décembre sur le maintien de ce dispositif parmi les plus protecteurs au monde et permettant l’accès des étrangers dépourvus de titre de séjour à une prise en charge intégrale de leurs frais médicaux.
L’AME promeut l’accès des populations concernées à une couverture médicale afin d’éviter une aggravation de leur santé qui les conduirait sinon à visiter les services d’urgences. Elle a également pour objectif la lutte contre la prolifération de maladies contagieuses. Pour les parlementaires, le dilemme public porte donc d’une part sur l’acceptabilité politique du financement ce régime, in fine plus protecteur que celui des salariés en situation régulière (même nationaux), et d’autre part sur l’effet d’aubaine qu’il constitue pour certaines filières d’immigration irrégulière, notamment géorgiennes, en raison de leurs accès à l’espace Schengen sans visa de court séjour.
Plusieurs solutions intermédiaires pourraient être proposées pour répondre à ces enjeux. La première consisterait à séparer soins urgents et soins courants (comme dans la plupart des pays européens), ou maladies contagieuses et non transmissibles. Une autre opérerait une exclusion des nationalités exemptées de visa, davantage susceptibles de se rendre sur le territoire français précisément pour bénéficier de l’AME, et les autres.
Une autre solution consisterait enfin à créer une caisse d’assurance dédiée aux étrangers sans titre, sur le modèle méconnu du système mis en place en Thaïlande au profit des travailleurs migrants faiblement qualifiés en provenance du Sud-est asiatique.
En tant que pays à revenus intermédiaires supérieurs, la Thaïlande accueille un nombre important (plus de 3 millions) de travailleurs migrants en provenance des pays voisins, le Laos, le Cambodge et la Birmanie (CLM). Beaucoup d’entre eux sont employés dans le secteur informel, voir en situation irrégulière au regard du droit du séjour.
Si les étrangers déclarés sont couverts par le système de sécurité sociale du secteur privé, le gouvernement thaïlandais a mis en oeuvre depuis le début des années 2000 plusieurs initiatives pour permettre l’accès aux soins des étrangers non documentés ou non déclarés.

C’est en particulier la crise économique des pays asiatiques de 1997 et le coût croissant de la prise en charge des travailleurs étrangers, sur un fondement humanitaire, qui ont poussé les gouvernements successifs à bâtir un système d’assurance dédié à ces derniers.
En 2001, le ministère de la santé publique a ainsi mis en place un régime s’adressant à tous les migrants non couverts, qui fut ensuite étendu à leurs ayant-droits en 2005. Il s’agit un système de cotisation volontaire financé par un paiement annuel du travailleur migrant (2 200 baht, soit environ 200$ en parité de pouvoir d’achat). La candidature au régime d’assurance des migrants implique préalablement que le migrant s’inscrive dans un hôpital donné, où il réalise un premier bilan de santé (500 baht / 40$ PPA) comprenant une radiographie pulmonaire de détection de la tuberculose, et des tests de dépistage de différentes maladies contagieuses.
A partir de 2014, l’enrôlement dans « l’Assurance santé obligatoire des migrants » est devenu obligatoire, au cours d’un rendez-vous unique visant à réaliser un bilan de santé. Cela semble avoir fonctionné car en 2011, moins de 9 % des travailleurs migrants étaient couverts, et plus de 33 % en 2016 (contre 20 % en France selon Médecins du Monde).
Ce régime a fait l’objet d’une littérature académique considérable en Thaïlande, notamment de la part d’un prolifique chercheur du ministère de la santé publique, Rapeepong Suphanchaimat. Si cette solution n’est sans doute pas exempte de critiques, elle pourrait inspirer la réforme de l’aide médicale d’Etat en France.
Tangcharoensathien V, Thwin AA, Patcharanarumol W. Implementing health insurance for migrants, Thailand. Bull World Health Organ. 2017 Feb 1;95(2):146-151. doi: 10.2471/BLT.16.179606. PMID: 28250516; PMCID: PMC5327939.
Suphanchaimat R, Putthasri W, Prakongsai P, Tangcharoensathien V. Evolution and complexity of government policies to protect the health of undocumented/illegal migrants in Thailand – the unsolved challenges. Risk Manag Healthc Policy. 2017 Apr 15;10:49-62. doi: 10.2147/RMHP.S130442. PMID: 28458588; PMCID: PMC5402917.