La Subordination des officiers

Lors de précédents billets, j’ai décrit les conditions dans lesquelles l’adhésion de la France au droit d’asile contemporain avait été subordonnée à des garanties, notamment en matière de « strict encadrement de l’instruction des demandes par l’OFPRA ».

Au cours des réunions interministérielles d’arbitrage, il était ainsi conclu le 25 avril 1967 que :

« le Directeur et le Conseil d’administration de l’OFPRA fixent très strictement les critères de reconnaissance de la qualité de réfugié pour cette catégorie nouvelle, de manière à écarter notamment les simples opposants à un gouvernement étranger, comme les originaires de pays où il n’existe pas une véritable persécution. »

Et le 15 décembre suivant, que :

« Dans l’éventualité de la levée de la réserve géographique, i1 est entendu que les directives suivantes seraient proposées à la prochaine réunion du Conseil de l’OFPRA :

a) toute personne sollicitant le statut de réfugié devrait avoir été préalablement admise au séjour;

b) la preuve devrait être apportée qu’un risque personnel a été couru ;

c) l’existence de persécutions dans le pays d’origine devrait être confirmée par nos Représentants

[…]

f) l’OFPRA devrait vérifier, après un certain délai, que la situation avant justifié l’octroi de la qualité de réfugié ne s’est pas modifiée. »

Quelque cinquante années plus tard, ces échanges prennent une tournure étonnante, alors que les agents de l’OFPRA s’inquiètent d’atteintes à son indépendance. Créé par la loi n°52-893 du 25 juillet 1952 l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), est un établissement public administratif placé initialement sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Il bénéficie, comme tous les établissements publics, d’une autonomie administrative et financière, mais non d’une indépendance fonctionnelle.

L’office a pour fonction essentielle la protection juridique et administrative des réfugiés et apatrides ainsi que celle des bénéficiaires de la protection subsidiaire, après instruction de leur demande, et en se fondant sur les conventions internationales relatives aux réfugiés (1951 et 1967) et sur l’apatridie (1954).

A compter des années 1970, les Nations Unies vont intervenir dans le débat administratif et législatif afin de promouvoir une conception plus libérale de l’instruction des demandes des réfugiés. A l’occasion d’une rencontre prévue en 1972 entre le Haut-Commissaire aux réfugiés Agha Khan et le ministre des affaires étrangères Maurice Schumann, son cabinet prépare des éléments de langage revenant directement sur les conclusions de l’arbitrage pris cinq ans plus tôt :

« Autre problème qui suscite également les plaintes ou les critiques = la trop grande dépendance de l’OFPRA vis-à-vis de l’Intérieur ; des pratiques administratives qui réduisent abusivement le rôle de l’OFPRA dont l’intervention est désormais soumise au préalable de l’admission au séjour. »

[…]

« La distinction entre non-refoulement et admission au séjour est défendable en droit. Politiquement, elle ne résiste pas à l’examen, si l’on songe aux conséquences et aux abus possibles, à la longue tradition de la France en la matière, au rôle de pionnier qu’elle a joué à cet égard. »

Une modification est donc proposée afin de contourner la procédure préalable d’obtention d’un titre de séjour auprès du ministère de l’Intérieuri. Les péripéties de coulisses des périodes suivantes sont encore insondablesii, mais des évolutions procédurales viendront progressivement anéantir les garanties que les ministères de l’intérieur et des affaires sociales croyaient avoir obtenues en 1967. En 1982 ainsi, une procédure est instituée pour permettre l’entrée sur le territoire d’un étranger sans autorisation qui ferait état de persécutions. C’est en 1992 qu’un droit de regard du Haut-Commissariat des Nations Unies dans la procédure frontalière est consacré par la loi. La loi précise également que « L’admission ne peut être refusée au seul motif que l’étranger est démuni des documents et des visas [requis] ».

L’idée d’une indépendance de l’OFPRA vis-à-vis de l’administration se consolide. En 2007, lorsque la loi n°2007-1631 place l’OFPRA sous l’autorité du ministre chargé de l’asile, à savoir la plupart du temps, le ministre de l’Intérieur, des critiques s’élèvent. En effet, à la même époque est réalisée l’unification des administrations en charge des étrangers en France, alors dispersées entre le ministère des Affaires sociales (intégration, hébergement, travail), celui des Affaires étrangères (visa, asile), et celui de l’Intérieur (réglementation du séjour). C’est enfin une loi adoptée en 2015 qui précise que :

« L’office exerce en toute impartialité les missions mentionnées ci-dessus et ne reçoit, dans leur accomplissement, aucune instruction. »

Cette notion d’indépendance, vue comme une nécessité dans l’instruction de l’asile, est donc une invention récente. Elle n’a d’ailleurs été consacrée qu’en France et en Belgique. En Italie, par exemple, les Commissions territoriales sont établies sous la responsabilité des préfectures et sont composées d’au moins 6 membres, dont au moins 4 représentants du ministère de l’intérieur, parmi lesquelles le président. En Espagne comme au Portugal, l’Office pour l’asile et les réfugiés doit obéir à toute instruction du ministère de l’intérieur. En Belgique, le ministre peut demander à prioriser un cas spécifique.

Une distinction peut donc être établie entre instructions générales sur les modalités de traitement de la politique de l’asile (comme les ministères en délivrent classiquement par voie de circulaire) et interventions particulières, portant sur un demandeur donné. C’est la solution trouvée d’ailleurs en ce qui concerne les magistrats du parquet qui sont placés hiérarchiquement sous l’autorité du garde des sceaux, afin de permettre une application uniforme de la politique pénale sur tout le territoire sans que cette subordination puisse se traduire par des instructions dans les affaires individuelles.

D’ailleurs, l’impartialité consacrée par loi comporte une ambivalence unique dans l’organisation administrative de la France puisqu’elle protège l’organisation sans garantir l’indépendance de ses membres. En effet, si l’OFPRA ne peut recevoir aucune instruction du gouvernement, les officiers de protection peuvent eux recevoir toute instruction de leur directeur, qui délègue sa signature aux officiers de son choix et qui, conformément aux principes du droit public général, peut réformer librement leurs décisions en tant qu’autorité hiérarchique.

Cette curieuse situation s’explique par le fait que l’OFPRA est une administration, non une juridiction. Les personnes dont la demande a fait l’objet d’une décision de refus de protection peuvent ensuite déposer un recours devant une juridiction spécialisée, la Cour nationale du droit d’asile, puis un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Néanmoins, l’impartialité aujourd’hui consacrée ne permet pas nécessairement d’empêcher les interventions politiques (qui ne semblent d’ailleurs pas émaner du ministère de tutelle…) sur les cas de figure comportant un enjeu diplomatique, comme dans le cas de génocidaires rwandais.


i Archives diplomatiques, 11POI/1/1365 Aide mémoire sur le fonctionnement de l’office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 20 juin 1972

ii J’irai jeter un œil aux fonds du ministre Marcellin, censé avoir reçu le HCR par la suite.

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