LES CAMPS BENIS
[suite…] J’ai écrit précédemment que, pour des motifs liés à son financement, le Haut-Commissariat aux Réfugiés avait tendance à minorer les efforts réalisés par les pays développés en faveur de son action. Cette stratégie de levée de fonds se traduit par une communication axée sur la présence géographique des réfugiés dans les pays développés, structurellement inférieure à celle abritée dans les pays à revenus inférieurs. Même si la communication du Haut-Commissariat aux Réfugiés s’avère généralement très pondérée et juste, la reprise de ces éléments de langage par d’autres organisations l’est souvent moins.
Or, alors qu’elle fait l’impasse sur la contribution financière du Nord, cette représentation dissimule aussi les différences matérielles et juridiques de traitement qu’implique la notion d’accueil de réfugiés selon les régions du monde.
Concernant l’hébergement, le Haut-Commissariat aux réfugiés s’attache à réduire la propension des Etats d’accueil à regrouper les demandeurs d’asile ou réfugiés dans des camps. Le représentant en Grèce rappelle ainsi la « nécessité de remédier à la situation précaire de milliers de personnes dans les îles et d’accélérer leur transfert sûr et ordonné vers des logements plus appropriés sur le continent ». La porte-parole Duniya Aslam Khan déclare pareillement que « les réfugiés et demandeurs d’asile présents sur l’île de Manus ont vécu dans des conditions éreintantes ». L’agence de l’ONU est aussi préoccupée par les conditions de vie des migrants à Calais et Dunkerque. Mais ce sont précisément les conditions dans lesquelles vivent une grande partie des réfugiés présents dans les pays du Sud, présentés comme comparativement accueillants.

Ainsi, plus de 20% des réfugiés dans le monde vivent « encampés« , soit 6,6 millions de personnes. Pour la majorité, il s’agit de camps organisés, mais pour deux millions d’entre eux, ce sont des camps spontanément installés. Si le Haut-Commissariat privilégie des alternatives, comme l’hébergement autonome et l’insertion urbaine, cette solution n’est pas toujours disponible selon les pays. Dans les grands pays d’accueil notamment, l’encampement sous l’égide de la communauté internationale demeure la règle. C’est le cas au Soudan (80%), au Bangladesh (100%), en Ethiopie (90%), au Tchad (90%) ou au Kenya (80%). En Turquie, un effort particulier a été consenti afin d’encourager l’insertion géographique des réfugiés syriens, dont la proportion vivant dans des camps a été fortement réduite depuis 2012, comme au Pakistan (30%).
La plupart des camps de réfugiés officiels sont administrés par le HCR, souvent en partenariat avec d’autres ONG et les gouvernements locaux. Ces camps se caractérisent par leur longévité : au Kenya, celui de Dadaab existe depuis plus de trente ans. Leurs habitants y vivent parfois depuis des générations, et n’ont pour beaucoup jamais connu d’autre lieu d’existence. Za’atari, Cox’s Bazar ou Bidibidi sont les noms de lieux méconnus du grand public mais au cœur de l’action de nombreux organisations internationales. Des centaines de milliers de personnes peuvent y vivre.
A l’inverse, la qualité de réfugié, dans les pays occidentaux, entraîne une liberté complète d’installation au sein du pays d’accueil, ainsi que l’accès au logement individuel dans les mêmes conditions que le reste de la population.
La géographie déséquilibrée de l’accueil des personnes persécutées dans le monde révèle donc aussi un investissement différent de la part des Etats de protection. Pour de nombreux pays du Sud, cet accueil consiste, pour l’essentiel, au prêt de terrains pour une durée pouvant être longue, mais souvent précaire.
[à suivre…]