Le caractère temporaire de la protection internationale conférée soit au titre de la Convention de Genève, soit de la protection subsidiaire, est l’angle mort des études sur les réfugiés, en dépit de la compilation, par Eurostat, d’une série de donnée de bonne qualité. De ce fait, l’asile est bien souvent considéré sous le seul angle de la demande et des décisions de rejet ou d’admission, très rarement sous celui de son expiration.
Les textes prévoient pourtant plusieurs cas de figure entraînant la fin de la protection en question. Elle est tout d’abord caduque si un réfugié se réclame volontairement à nouveau de la protection de son pays d’origine, par un « acte d’allégeance » révélant que le réfugié ne craint plus de persécutions. Il peut s’agir par exemple d’un voyage dans son pays d’origine ou même par des contacts administratifs avec les autorités consulaires ou diplomatiques.
La perte du statut de réfugié peut aussi intervenir lorsque l’étranger s’en est rendu indigne, notamment lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’Etat. Cette situation n’emporte pas pour autant l’éloignement de la personne concernée, le Conseil d’État a eu l’occasion d’expliquer que « la révocation du statut de réfugié ou le refus d’octroi de ce statut ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens de la convention de Genève ».
Enfin et surtout, la protection peut cesser en raison de changements de circonstances dans le pays d’origine, et notamment une évolution du régime, la pacification du territoire ou encore une amnistie des crimes politiques.
Ces clauses ont été précisées par le Haut-Commissariat aux Nations Unies. Elles font l’objet d’aménagements ou d’encadrements variables. En France, un réfugié peut par exemple solliciter auprès des services préfectoraux un sauf-conduit afin de se rendre dans son pays d’origine pour des motifs impérieux, puis revenir. Aucune statistique n’est publiée à ce sujet.
Les régimes de retraits sont très diversement appliqués en Europe, comme on peut le constater simplement à la lecture des chiffres en valeur absolue. Mais cette donnée est surtout intéressante si elle est rapprochée du nombre de bénéficiaires d’une protection présents dans un pays donné, afin de déterminer si certains Etats ont une pratique plus ou moins exigeante en matière de persistance de l’asile.
Or, si le taux de retrait moyen au niveau de l’Union européenne est plutôt faible (1%-3%) il s’étend de 0 % à 32 %-48% selon le pays d’accueil considéré. Une représentation cartographique met en évidence cette hétérogénéité des pratiques. On observe d’ailleurs pas de corrélation significative entre la taille de la population réfugiée dans un pays donné et la propension au retrait.

Parmi les pays qui retirent abondamment les statuts de protection tout en ayant une population réfugiée importante figurent les Pays Bas, l’Autriche et la Suisse. Le détail fait apparaître que ce ne sont pas les mêmes catégories qui sont frappées. L’Autriche a surtout visé des ressortissants russes reconnus réfugiés. En Suisse, où près de 60 000 mesures de retrait ont été prises en une décennie, ou encore aux Pays-Bas, ce sont avant tout des bénéficiaires d’une protection subsidiaire qui sont visés, quelle que soit leur nationalité (Afghanistan, Syrie, Erythrée, Somalie, Irak).
Ces considérations ne font qu’ébaucher l’étude malheureusement lacunaire de ces pratiques.
[à suivre…]
Méthode
La série Eurostat remonte jusqu’en 2008, et permet de distinguer les mesures de retrait par nationalité, pays d’accueil, type de protection retirée et même, depuis 2021, le motif de retrait. Toutefois, plusieurs Etats ne sont pas encore en situation de préciser ce critère, et au regard de la distribution statistique par motif extrêmement polarisée, je tends à penser que les autres Etats membres rencontrent une certaine difficulté. Il s’agit des retraits portant sur des protections conférées en première instance (en France, par l’OFPRA), mais les mêmes données existent pour les juridictions de recours.
Je propose deux méthodes d’estimation. La première consiste à construire un « taux de retrait glissant » en divisant le nombre de mesures de retraits édictées sur dix ans (2013-2022) par la somme des mesures de protection accordées par un pays d’accueil sur la même période. Il s’agit d’un indicateur théorique puisque les deux périodes se chevauchent, et font abstraction des détenteurs d’une protection obtenue antérieurement. On pourrait aussi objecter que les protections accordées aujourd’hui n’auront vocation à être éventuellement réexaminées qu’après quelques années et qu’il conviendrait pour cette raison de conserver un délai d’observation.
L’autre méthode consiste à diviser le même nombre de retraits par la population sous mandat du Haut-commissariat aux réfugiés, à une date fixe, ici 2022, afin de produire un « taux global théorique de retrait ». Cette méthode présente également des limites, notamment le fait d’impacter davantage un pays d’accueil lorsque sa population sous protection internationale est présente depuis plus de dix ans, même si le droit de la nationalité permet souvent un changement de statut dans ces délais en Europe.
Les résultats de ces méthodes de calcul varient donc beaucoup (de 5 points en moyenne) et le taux glissant est toujours supérieur au taux global, comme attendu. Les deux mesures proposent une corrélation de rang moyenne entre pays (Rho=0.6***), ce qui est cohérent avec la circonstance que les Etats issus du bloc soviétique ne connaissaient guère de population réfugiée avant 2012.
Pour cette raison, je tends à penser que les méthodes proposées constituent une approximation satisfaisante des différentes politiques de retrait menées en Europe.