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Le Trompe-oeil de la fermeture (II)

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L’accroissement des voies légales d’accès vers l’Europe caractérise la politique des Etats membre lors de ces dernières années, contrairement à un récit commun. Mais a-t-elle laissé de côté les pays dont les ressortissants sont les plus rencontrés aux frontières extérieures ?

Pour le vérifier, j’ai exclu des données les nationalités des régions qui ne figurent presque jamais dans les données de Frontex sur les franchissements irréguliers à la frontière extérieures. Il s’agit en premier lieu de l’Amérique latine et du Nord, dont les ressortissants sont pour la très grande majorité exemptés de visa pour se rendre en Europe. Ce sont aussi les habitants d’Asie de l’Est et du Sud-Est, trop éloignés ou indifférents pour se rendre sur la ligne verte de Schengen.

L’analyse se concentre donc sur les ressortissants africains, ceux de l’Asie du Sud, et de la région désignée dans la géographie contemporaine comme l’Asie de l’Ouest, à savoir la péninsule arabe, le Proche et Moyen-Orient, la Turquie et le Caucase.

Il s’avère que, hormis l’Afrique du Nord dont le nombre de nouveaux titre annuel stagne, ces continents sont les premiers bénéficiaires de l’augmentation de l’immigration légale vers l’Union européenne depuis une dizaine d’années, bien davantage que l’Asie du Sud-Est, (+25 %), ou que l’Amérique latine (+21%). L’Afrique Subsaharienne, l’Asie du Sud et de l’Ouest ont donc connu une augmentation significative des titres délivrés à leur profit.

Toutefois, il pourrait être objecté que cette augmentation est essentiellement due à la délivrance de droit de titres de séjour liés à l’asile ou au regroupement/réunification familiale, consécutive à la crise de 2015, au cours de laquelle de nombreux demandeurs ont accédé au territoire européen.

Pour ces mêmes nationalités, j’ai donc procédé à une décomposition des titres par catégorie. De façon consistante avec ce qui est observé dans toutes les pays occidentaux, l’immigration professionnelle et étudiante, qui relève donc d’un choix politique, demeure logiquement et structurellement minoritaire durant toute la période (puisqu’elle produit par ricochet une immigration de droit).

Néanmoins, il est possible d’observer une croissance notable (+93 % sur l’ensemble de la période, presqu’un doublement), quoique récente, de la délivrance annuelle de titres de séjour pour études ou pour travail au sein de l’Union européenne, qui a pleinement profité aux continents concernés.

Il est donc difficile d’imputer la nouvelle augmentation des flux migratoires constatée en 2023 à une réduction des voies légales d’accès au territoire européen.

L’idée d’une « restriction des voies d’entrée sûres et légales », omniprésente dans le discours académique, ne trouve donc guère de matérialité du point de vue de l’offre européenne. Toutefois, il est vrai que les possibilités de circulation offertes ne parviennent pas à répondre à la demande de mobilité en croissance permanente depuis les pays d’origine, en raison de l’évolution démographique de ces régions bien supérieure à celle de la région d’accueil.

Pour le dire autrement : s’il est devenu plus difficile aujourd’hui qu’il y a trente ans d’obtenir un visa ou un titre pour les candidats à la migration, c’est parce que le nombre de ces derniers a été multiplié dans la même période, et non en raison d’une quelconque restriction des voies légales.