Les Plages de l’Embarquement

Julien Goudichaud, Nicolas Torrent, Les Plages de l’Embarquement, Editions des Arènes, 2023, 336 p.

Julien Goudichaud est journaliste. Durant sept années, il s’est rendu sur les plages de Calais à la rencontre de migrants souhaitant se rendre en Angleterre, pour finalement se joindre à eux lors dans une traversée.

Son livre constitue un témoignage écrit avec humilité, sans trop d’ambition de théorie, et avec un recul raisonnable sur les événements rapportés. Les personnages en deviennent réalistes et attachants. La rédaction a le mérite de restituer avec honnêteté la capacité de calcul des acteurs :

« Pour atteindre les côtes anglaises, c’est pas plus de 30 kilomètres. Ils appellent les secours et les gardes-côtes anglais les récupèrent. Ils le savent très bien. »

page 124

Le fonctionnement des réseaux de passeur est aussi esquissé :

« Lorsque les conditions sont bonnes, la traversée de la Manche peut s’apparenter à un tour de pédalo sur le lac d’Annecy. Hélas, le retour d’expérience de ces passagers est ensuite utilisé comme argument marketing par les réseaux de passeurs. »

p. 128

A l’issue de la lecture, le mystère de Calais demeure pourtant. Les mécanismes qui génèrent le regroupement des migrants autour d’un rêve dangereux et irrationnel, celui de la traversée de la Manche pour atteindre les côtes du Royaume-Uni, ne sont pas dévoilés.

Dans ces circonstances, on est incité à s’en tenir à l’éventualité que des mythes persistants circulent au sein de la Jungle, trop rarement démentis publiquement.

Le livre de Julien Goudichaud réitère malheureusement certaines de ces idées qui ont court sans doute parmi les migrants. En premier lieu évidemment, le fait que le Royaume-Uni constituerait un lieu bien plus accueillant

« Après quelques jours de rétention, on leur a octroyés des chambres d’hôtel individuelles. Ils sont nourris, logés, blanchis, et accompagnés dans leurs démarches administratives pour obtenir un titre de séjour. Démarches qui en Angleterre prennent moins de deux ans. »

p. 207

Or, le Royaume-Uni ne délivre pas de titre de séjour aux personnes parvenues irrégulièrement sur son territoire. En revanche, comme en France et partout dans l’Union européenne, un demandeur d’asile bénéficie temporairement d’un droit au séjour, le temps de l’examen de sa requête. Il a droit à des conditions matérielles d’accueil qui implique son hébergement et une aide financière quotidienne.

Dans le cas du récit, et plus largement de la réalité du Calaisis, les migrants concernés appartiennent de façon très majoritaire à des nationalités qui bénéficient de taux de protection au titre de l’asile particulièrement élevés en Europe, y compris en France : Soudanais, Érythréens, Irakiens, Iraniens, Afghans.

C’est tout le paradoxe que des migrants s’entêtent à traverser la mer, au péril de leur vie et de leurs finances, pour se retrouver dans une situation juridiquement équivalente à celle dont ils bénéficieraient en France, si seulement ils en faisaient la demande.

L’ouvrage, intéressant par ailleurs, ne participe pas vraiment à dissiper ce malentendu ni à l’expliquer.

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